mercredi 8 juin 2011

Enquete sur l'évolutionnisme (suite)


EVOLUTIONNISME ECONOMIQUE 



Le point de vue évolutionniste prend en considération ce qui est en train d'advenir et non ce qui est achevé:l'évolution est toujours dirigée vers le futur et ce qui est cyclique revient invariablement identique à lui même.
A cause de cela on distingue deux types d'évolutions continues:
  1. l'évolution monotone qui traduit des modifications de la caractéristique considérée dans un sens constant;il peut exister cependant des phases d'accélération ou de décélération.
  2. l'évolution périodique qui traduit des modifications de la caractéristique considérée la faisant passer,avec une période constante ou variable,par des mêmes états.
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I ) L'évolution en économie
Au fil du temps la pensée économique s'est enrichit de nombreux concepts et de multiples courants.Un double clivage dans l'histoire de la pensée économique permet de distinguer quatre approches :
  1. approche réelle
  2. approche monétaire
(résultent de deux façons différentes d'envisager le rôle de la monnaie dans une économie marchande)
  1. micro-économie (allocation des ressources,prix relatif,répartition - approche fondée sur l'équilibre général walrasien)
  2. macro-économie (emploi,monnaie,activité économique - approche fondée sur l'équilibre global keynésien)



Ce n'est qu'aprés un certain temps de latence de la pensée économique,temps nécessaire à la diffusion et à la critique de son formalisme,que le débat sur l'évolutionnisme économique est lancé avec la publication en 1911 des théses de Schumpeter: "Théorie de l'évolution économique".Pour cet économiste,parfois qualifié d'hétérodoxe,ce qui caractérise l'évolution économique c'est le processus d'innovation.On regroupe en général les innovations en deux catégories : les innovations de produit et les innovations de procédé. L'acteur central de ces dernières est l'entrepreneur.Dans la conception de Schumpeter, l'entrepreneur incarne le pari de l'innovation, thèse qu'il développa en particulier dans une ré-édition de la Théorie de l'évolution économique en 1913 .Pour Schumpeter, le profit est la sanction de l'initiative créatrice des risques pris par l'entrepreneur. Cette conception est contraire aux économistes classiques qui faisaient du profit la contrepartie des efforts productifs (capital et travail) de l'entrepreneur."Cette conception est également contraire à celle, marxiste, qui place l'origine du profit dans la confiscation de la plus-value, c'est-à-dire l'appropriation d'une partie du fruit du travail des salariés par le rentier-capitaliste "(wikipédia).L'évolution est ainsi décrite comme une succession de variations continues,des dynamiques technologiques qui impliquent des choix préférentiels;mais les discontinuités introduites par l'innovation peuvent aboutir à des déséquilibres.
En fait,historiquement,depuis la fin du XIX éme siécle les économistes des théories managériales se sont interrogés sur les capacités qu'ont les entreprises à réaliser des calculs d'optimalité dans un environnement en perpétuelle évolution.Progressivement l'évolutionisme est ainsi devenu un paradigme à l'origine,en autre,de l'économie évolutionniste.



L'évolutionnisme en économie
(pour consulter le tableau I suivre le lien ci-dessus)
Quelques remarques concernant le tableau I:
  1. Dans la colonne 'acteurs économiques' le terme individus est suivi d'un (?);celà fait allusion au précédent article qui insistait sur l'ambiguïté de ce terme dans un contexte évolutionniste;l'individu apparaissant comme le terme générique applicable à l'unité de la sélection propre à n'importe quel niveau hiérarchique. Dans un contexte économique les entités sélectionnées peuvent être soient des 'agents économiques' soient des 'consommateurs' soient même des 'organismes' ou des ensembles (dèmes ou populations).Cependant Th.Veblen définit la personne assujéti à des règles comme un agent individuel (il fait donc référence implicitement à l'agent économique).Alors que K.MArx avait,en son temps,définit l'individu comme "produit de la société",comme "propriétaire de marchandise"ou "fraction déterminée de l'unité sociale".De même il fut,semble-t-il,à l'origine d'une tendance qui pressent que les individus s'objectivent en des valeurs:"l'individu est socialement un nombre".[Marx & Engels 1848 ].Plus recemment (1998) R.Lucas envisageait de concevoir (ou de modéliser) un individu comme une collection de règles de décision et " un ensemble de préférences utilisé pour évaluer les résultats qui émergent de combinaisons particulières de situation-action”.
  2. Ce tableau met également en évidence l'inhomogénéité des procesus de sélection ce qui a pour conséquence de balayer un large spectre de réponses.Les processus de séléction en économie évolutionniste sont ainsi tributaires de l'histoire,de la finance,de la logique,des contraintes organisationnelles et/ou de la concurence.
  3. Dans la colonne 'type d'évolution ' le progrès de la société par les règles évoque le débat instructionnisme/sélectionnisme.Par exemple,de façon concrète dans l'économie numérique,les entreprises ont considérablement modifié les processus d'échanges de données avec la mise en oeuvre de la technologie 'Web service'.Le modèle client/serveur s'est trouvé transformé par l'emploi de règles (ressources/services) plus abstraites et autorisant en autre l'interopérabilité.
De même la co-évolution évoque un processus spécifique formant une boucle en perpétuelle rétro-action.



Terminologie:quelques concepts évolutionnistes communs aux biologistes et aux économistes
  • Le flux :Concept apparaissant dès les premières formalisations économiques et assimilant les activités humaines à des flux de revenus et de dépenses.F.Quesnay (1674-1774) envisageait les relations économiques non pas entre des individus mais entre des classes et les rapports entre ces classes qui se font par le biais des dépenses;il a donc analysé la circulation monétaire de la société (1758 'le tableau économique' de Quesnay).La division opérationnelle des flux initiée par Forrester (1961) fut une école de pensée managériale qui a insisté sur l'importance du champ des représentations au sein de l'entreprise et qui joue un rôle important dans la mise en place des systèmes experts d'entreprise.Le flux a été ensuite décliné en une "théorie du circuit" ou en une "théorie monétaire".G.Delaplace (2009) distingue trois aspects communs au concept de flux:
  1. La théorie de la production:la détermination du niveau d'activité globale et des autres grandeurs macro-économiques n'est pas indépendante de la façon dont les paiements sont organisés;"dans une économie moderne,la création de monnaie s'opére dans une relation de crédit entre le système bancaire et les entreprises."(G.Delaplace)
  2. La théorie de la répartition:on suppose ici une hiérarchie spécifique entre les groupes basée sur l'accés à la monnaie."L'accés à la monnaie discrémine les groupes d'agents:les banques la produisent,les firmes l'obtiennent pour financer la production,y compris le paiement des salaires aux ménages".(G Delaplace)
  3. La théorie de la coordination:la monnaie fournit un lien social dans une économie où les décisions individuelles ne sont pas coordonnées et "la circulation monétaire détermine en même temps la taille de chaque agent économique" (G.Delaplace)
  • La croissance :c'est une variation positive (en terme mathématique) de la production sur une période donnée.Certaines conséquences de la croissance provoquent des effets pervers sur l'environnement (pollutions) ainsi que sur la société (accentuation des inégalités sociales).L'évolution économique pouvant ainsi se révéler contraire ou hostile à l'évolution biologique.C'est là un des débat central de l'évolutionnisme contemporain.Pour certains il faut faire la distinction entre croissance et progrès.Pour d'autres la croissance constitue un processus qui s'auto-entretient à travers le progrès technologique.Pour Schumpeter, les innovations apparaissent par « grappes », ce qui explique la cyclicité de la croissance économique.Ainsi,en économie,cycle et croissance sont liés.
  • Les cycles:période de répétition d'un phénomène périodique, les cycles caractérisent la vie biologique,la vie économique et sociale.
  1. Aux cycles de vie correspond des alternances cytologiques ou des alternances morphologiques.La biosphère abritant elle-même une variété de cycles:ceux de l'eau,de l'oxygène,du carbone,de l'azote.
  2. En économie les théoriciens reconnaissent l'existence de fluctuations cycliques.Les cycles économiques ont été définit par Schumpeter (1939) qui distinguait les cycles de long terme (40 à 50 ans) dits de Kondratieff, les cycles de moyen terme (6 à 10 ans) dits de Juglar et enfin les cycles de court terme (quelques mois) dits de Kitchin.
L'approche évolutionniste nous permet de toucher du doigt le degré d'interdépendance des phénomènes cycliques qui se conditionnent mutuellement.De plus l'approfondissement de la connaissance des cycles économiques induit une réflexion en termes d'équilibre ou de deséquilibre sur un ou plusieurs marchés.
  • L'équilibre: peut être 'partiel' chez Marshall ou 'général' chez Walras.
  1. L'équilibre partiel marshallien postule que la relation entre le prix et la quantité d'un bien est établi sur un marché en prenant comme paramètre les prix et les quantités d'équilibre de tous les autre biens.
  2. L'équilibre général walrasien postule que les prix et les quantités d'équilibre de tous les biens sont des inconnues dont les valeurs sont déterminées simultanément.Conséquence:il y a impossibilité d'avoir un déséquilibre sur le marché quand tous les autres sont à l'équilibre.
  • la richesse:Pour les biologistes la richesse est synonyme de bio-diversité.Les économistes se préoccupent de la création de richesses et de leurs répartitions.
  • Les réplicateurs:c'est à un biologiste que l'on doit me semble-t-il la meilleur définition d'un terme qui joue un role important dans un contexte évolutionniste:"un réplicateur fait que l'environnement dans lequel il se trouve en fabrique une copie (david Deutsch)”.Cette définition s'enrichit en économie d'une formulation mathématique:la loi de Fisher.



Structuralisme:Principe selon lequel des idées sont associées à d'autres idées et semblent former des ensembles cohérents exactement à la façon dont les parties morphologiques sont souvent corrélées les unes aux autres.Le tableau 2 résume ce principe en comparant économie et biologie.



Approche structuraliste de l'évolutionnisme
(pour consulter le tableau II suivre le lien ci-dessus)

II ) Les principaux champs de l'économie évolutionniste .

Au delà de quelques concepts communs,la biologie et l'économie partagent-elles d'autres affinités ? A cette question les analystes économico-évolutionnistes ont leur propre point de vue.Il convient de distinguer au moins trois types de réponses qui visent toutes à mieux cerner le comportement des agents face à leur environnement :

  1. L'analyse quantitative des relations entre croissance et innovation

Le tableau I nous a donné toute la richesse de l'approche du phénomène évolutionniste en économie.Les derniers développements vont insister sur les possibilités de formaliser quantitativement les hypothèses.On ne peut sous-estimer l'impact de ces travaux à l'heure de l'émancipation de l'économie de la connaissance.Pour ce courant c'est la firme et son potentiel d'innovation qui est le moteur de l'évolution.Les modèles évolutionnistes sont batis sur un socle commun:l'importance des conditions initiales et le caractère cumulatif de la technologie.On distinguera donc:
  • les travaux mettant l'accent sur la codification des connaissances accélérant les processus d'innovation (Soete & Ter Well 1999).
  • les travaux mettant l'accent sur la notion de réplicateurs de Fisher (1930) et ré-utilisés par l'économiste J.S Metcalfe (1992).Ce réplicateur (ou loi de Fisher) établit que,dans une population de firme,la croissance des aptitudes moyennes de ces dernières est proportionnelle à sa variance et donc,par définition,que le développement de ces aptitudes ne peut être que positif ou nul.

  1. Phénomènes d'apprentissage et de changement au sein des entreprises:les routines organisationnelles .

C'est un domaine que nous avons déjà évoqué ci-dessus à propos de la 'division opérationnelle des flux' qui insiste sur les différentes phases de l'entreprise:
  • la phase physique des objets concrets (marchandises,outils,biens d'équipement,espèces monétaires).
  • La phase abstraite:ensemble des symboles et signes représentant les objets concrets.Elle se partage les décisions implicites des émetteurs et des effecteurs.
  • La phase psychologique où sont prises les décisions.

N.Lazaric et coll approfondissent la réflexion sur les routines:« Les routines évoluent selon diverses pressions internes ou externes et créent des points focaux sur lesquels les membres de l'organisation se mettentd'accordpour organiser leur travail ou leur activité. »(Lazaric 2010).Il convient donc de distinguer:
  • l'émergence d'une mémoire procédurale au sein de la firme à travers la motivation des acteurs (Lazaric & Denis 2005)
  • la consolidation et mise en place à travers le rôle structurant d'un système expert (Lazaric,Mangolte & Massue 2002)
  • un modèle de simulation d'une production de connaissances dans le cas de la trêve ou du conflit (Lazaric & Raybaut 2005).La pression hiérarchique sur les groupes étudiés est modélisée par une équation.

Notons,enfin,qu'au sein du courant de la sociologie des organisations,le rôle de la compétition est couplé avec la dynamique des populations (modélisée en écologie par les équation de Lotka-Volterra connues pour formaliser la croissance en fonction d'une quantité limité de ressources).


  1. La modélisation des interactions

C'est un domaine riche en questionnement car il permet de comparer les méthodes de modélisation des interactions chez les biologistes et les économistes.Mais les problèmes soulevés nous immergent dans le monde de la compléxité.Parmis les chefs de file de ce courant il faut citer:
  • Maynard Smith Pour comprendre son point de vue il faut se souvenir de la tendance au « durcissement «  de la théorie synthétique de l'évolution à l'époque où cet ingénieur en aéronautique conceptualisait les interactions entre organismes ainsi que les comportements sociaux.Maynard Smith insiste sur les processus d'adaptation dans la mesure où l'évolution naturelle ne « connait pas l'optimisation des caractéristiques vitales des espèces ».Le modèle de Maynard Smith rejoint le courant des jeux évolutionnaires et la stratégie évolutivement stable.
  • R.Axelrod.Par certains aspects de son travail il se rapproche de 'l'économie de don',par d'autres il se situe dans la continuation de la sociobiologie.Axelrod est connu pour ses travaux multiples sur l'altruisme et les stratégies 'donnant-donnant'.Aprés avoir testé le programme de Rapaport (coopération-réciprocité-pardon) il usa des algorithmes génétiques pour simuler la coopération et la défection (1997).Dans ces conditions les résultats montrent que si une population entiére coopère,en utilisant la stratégie du « donnant-donnant » aucun mutant ne pourra perturber l'équilibre,même s'il fait toujours défection.Par contre un mutant isolé appliquant la stratégie du « donnant-donnant »,ne pourra à lui seul remettre en cause l'équilibre initial d'une population faisant toujours défection.


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Ainsi les analystes qui ont cherché à présenter les analogies ou les métaphores biologiques utilisées par les économistes ont tous relevé certaines ambiguïtés concernant les comportements adaptatifs des agents.En particulier il est conseillé de distinguer dans les comportements:
  • ceux qui sélectionnent
  • ceux qui adaptent dans le but d'améliorer
  • ceux qui optimise depuis le début.
La nouvelle version de la théorie de l'évolution, « la théorie hiérarchique de l'évolution »,crée par S.J. Gould (1999) & coll se distingue des précédentes par les perspectives hiérarchiques entre niveaux opérationnels et pourrait être prise en considération pour mieux appréhender l'interopérabilité des structures économiques,pour les modélisations des interactions au sein des entreprises ou pour les études prospectives dans le domaine socio-économique.Mais dans le contexte actuel de l'architecture orientée service, du 'cloud computing',l'évolutionnisme permet de nous placer dans une attitude transdisciplinaire où le problème n'est pas tant de chercher des analogies mais bien de trouver des outils scientifiques efficaces pour aborder le système technique contemporain.

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Pour compléter l'étude :


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