I - Représentations et connaissances
La vie mentale a longtemps divisé les savants en
deux catégories opposées:scientifiques expérimentateurs et
philosophes.Pour de nombreux philosophes nos processus mentaux sont
essentiellement doués d'intentionnalité c'est à dire
de cette caractéristique particulière des croyances,des désirs ou
des espoirs d'être «à propos de quelque chose»
contrairement aux objets naturels qui eux ne sont «à propos de
rien d'autres que d'eux mêmes».
Cependant,les
progrès des neurosciences cognitives aidant et l'esprit de tolérance
entourant ces sujets,il convient de noter que les fossés se sont
comblés et que des ponts entre personnalités étudiant ces
questions se sont créés.Ainsi les scientifiques admettent que
l'introspection soit un point de passage obligatoire pour une voie de
connaissance de soi,l'expérimentateur ayant la capacité de corriger
les inévitable erreurs:
“La
première étape, cruciale, consiste à prendre au sérieux ce que
les sujets rapportent de
leur
introspection et de leur phénoménologie. Ces rapports subjectifs
sont les
phénomènes
clés qu’une neuroscience cognitive de la conscience vise à
étudier. En tant
que
tels, ils constituent les données primaires que l’on doit mesurer
et enregistrer en
parallèle
avec toutes les autres données physiologiques.” (Dehaene
& Naccache, 2001)
L'impact
de la théorie de l'évolution sur la philosophie naturaliste
Le
naturalisme a connu dans l'histoire des idées des fortunes diverses
mais au cours des 50 dernières années certains penseurs ont remis
l'ouvrage en chantier.Nous en présentons un bref panorama dans le
tableau 1.
Naturalisme«c'est au sein même de la science,et non dans une quelconque philosophie première,que la réalité doit être identifiée et décrite» Quine (1981)
Ce qui l'autorise à déduire que: 1) le monde
naturel est tout ce qui est; 2)nous ne possédons aucune source non
naturelle de connaissance.
Nous comprenons que c'est une connaissance de la phase objective
de notre conscience à laquelle nous sommes conviés par Quine.Le
naturalisme de Quine est réputé faillibiliste,antitranscendantale
et holistique pour ce qui est des théories et gradualiste
au regard de la connaissance ou de certaines notions comme la
vérité.Le chercheur naturaliste étant faillible,les
sciences naturelles sont toujours sujette à des révisions et ne
peuvent en aucun cas être 'l'arbitre final en toute chose'.La conscience
En l'état actuel des travaux,la conscience n'admet pas de définition unique et simple;le tableau ci-dessus explicite des approches et des méthodologies différentes mais elles s'éclairent mutuellement: tous les auteurs cités ne s'interessent pas aux mêmes fonctions bien que leurs études cherchent à mieux connaitre la conscience.A la fin du XIX ème siécle le naturaliste R.Steiner pouvait écrire:
“La conscience sert de lieu de rencontre où concept et observation sont associés l'un à l'autre”
Un peu plus d'un siècle plus tard le Pr Michel Imbert distingue 3 niveaux dans l'étude de la conscience:
- niveau
1:la "conscience" de la créature ce que d'autres
scientifiques nomment "niveau de vigilence".
- Niveau
2:la conscience d'état mental,divisée elle-même en deux
catégories
- 1-
la conscience phénoménale (privée:expérience subjective) que
l'on ne sait pas modéliser:"hard
problem"
de D.Chalmer.
- 2-
la conscience d'accès (description des comportements)qui fait
l'objet de très nombreux travaux en neuro sciences
cognitives:"easy
problem"
de D.Chalmer.
- 1-
la conscience phénoménale (privée:expérience subjective) que
l'on ne sait pas modéliser:"hard
problem"
de D.Chalmer.
- Niveau 3:la soi-conscience qui se caractérise par le langage,par la méta-cognition et par l'action volontaire.
Selon ce schémas la conscience d'accès fait figure de niveau intermédiaire qui se caractérise par une stabilité du traitement de l'information renvoyant à une valeur biologique de survie qui est "l'invariance perceptive".Dehaene estime que le problème difficile est celui qui se pose aux neurocogniticiens et qu'une fois ces difficultés relatives à la conscience d'accès élucidées,la conscience phénoménale sera expliquée.Pour présenter ces recherches nous admettrons un isomorphisme entre les états mentaux et les états cérébraux.C'est la théorie de l'identité que les scientifiques nuancent et enrichissent depuis les années 1970.Le Pr.Dehaene et Col ont élaboré un modèle sophistiqué :"l'espace de travail neural global " (Global neural workspace – GNW) qui fait déjà l'objet de nombreuses confirmations expérimentales.Selon ce modèle les informations en provenance du monde sont traitées de façon objective par les zones cérébrales spécialisées,puis se propagent sous la condition que le temps d'exposition du stimulus soit suffisamment long,sont réverbérées selon un phénomène de feed-back et envahissent tout le cerveau.C'est seulement à ce moment que ce stimulus pourra être rapporté verbalement (dans le cas de sujet humain) attestant de l'accès à la conscience. Etre conscient,en somme,c'est disposer de l'information disponible.
Cependant le philosophe n'a toujours pas la réponse à son interrogation:pourquoi des concentrations ioniques,des influx parcourant les neuro processeurs induisent-ils précisement ces états mentaux tels que nous nous les expliquons avec nos catégories intentionnelles?
D.Dennett s'interroge quant à lui au comment de certains phénomènes qui jusqu'ici ont été négligé:les animaux,totalement ignorant des mécanismes biologiques sous-tendant les comportement,ont cependant des capacités à anticiper les réactions d'autrui.Et nous aussi,nous sommes capables de prévoir avec de bonnes approximations le comportement de nos semblables.Comment cela se peut-il?
La clé se trouve,selon D.Dennett,dans la théorie darwinienne de l'évolution:nos interprétations sont le produit d'une aptitude qui a été lentement fabriquée par la selection naturelle et que nous avons hérité de nos lointains ancêtres parce qu'elle a amélioré leur survie.Notre langage nous permet d'exprimer et de partager nos prédictions et nous sommes en mesure de concevoir une "théorie de l'esprit" des personnes qui nous entourent.Dennett qualifie de "posture intentionnelle" cette aptitude qui nous permet d'attribuer des croyances ou des désirs à ce qui nous entoure.Et cette posture caractéristique de la psychologie populaire est à distinguer de la posture des physiciens qui cherchent à expliquer les phénomènes.Selon Dennett les croyances et les désirs n'existent réellement que dans les calculs du psychologue populaire tout comme le centre de gravité n'existe que chez les physiciens qui modélisent (en mécanique classique ou en cinématique par exemple).
Chez
la pluspart des des philosophes de l'esprit une définition de la
réalité
est également un préalable indispensable à leur conception.
Dans
sa philosophie spiritualiste,R.Steiner systématisait l'introspection
en en faisant un acte de méditation:"la
pensée est un objet d'observation qui se distingue essentiellement
de tous les autres; observer la pensée exige un état d'exception
[....] l'être pensant oublie la pensée pendant qu'il l'excerce;la
pensée est l'élèment inobservé de notre activité spirituelle
courante".Cette philosophie de l'esprit considèrait que la conscience humaine est une sorte de théatre permettant à l'acteur principal qu'est la pensée de jouer son rôle:achever l'univers en lui adjoignant des représentations élaborées.
"Tant que nous restons
dans le domaine des sensations,des sentiments (et de l'acte de
perception),nous sommes des êtres isolés;mais lorsque nous pensons
nous sommes l'être unique et indivisible qui pénètre toutes
choses.La perception n'est pas une chose achevée,définitive;elle ne
représente qu'une seule face de la réalité totale.L'autre face
c'est le concept.
L'homme est co-créateur de l'univers et
notre besoin de connaissance nait en nous du fait que la pensée
dépasse notre existence particulière pour se rattacher à la vie
universelle du cosmos." (R.Steiner in "Philosophie de la
liberté")«J'agis donc je suis»
C'est par cette formule que Marc Jeannerod présente son étude sur le cerveau volontaire.Sa conclusion est que vouloir et faire sont deux choses indépendantes qui mettent à contribution plusieurs sous-systèmes de traitement:
- un
premier type de réseau où se traite la formation de la
représentation motrice,puis la préparation et la simulation.Ce
sous-système est impliqué dans un contrôle de la dynamique
spatio-temporelle de l'action;il est automatique et inconscient.
- Un second type qui contrôle la partie conceptuelle de la représentation et franchit la conscience d'accès car l'expérience devient consciente:elle est rapportable et verbalisable.
Marc
Jeannerod insiste sur le fait que ces deux niveaux de traitement
n'entretiennent pas de relations de subordination:l'activité du
niveau automatique ne détermine pas l'activité du niveau conscient
et inversement.C'est l'action elle-même qui est le point de
convergence des deux sous-système: «le
passage à l'acte rend visible le contenu de la
représentation,l'auteur prend connaissance de ce qu'est devenue son
intention» [Marc
Jeannerod 2009]
L'introduction d'une distinction entre une réalité en évolution et une réalité parfaite peut choquer ceux qui adoptent un point de vue exclusif différent tel que l'idéalisme ou le matérialisme.Mais pour un gradualiste la césure entre un monde de phénomènes et un monde de noumènes semble tout aussi arbitraire.La distinction proposée,à titre d'hypothèse de travail, est validée par de nombreuses observations:
- il
n'y aucune coupure nette entre les différents rêgnes de la nature
- nombres
de processus inconscients du cerveau des primates et ceux d'homo
sapiens sapiens sont les mêmes
- l'espace
de travail neural global et la conscience de l'action chez l'homme
sont l'indice d'un changement progressif de rêgne.
Le
problème actuel est plutôt de situer la cloture de la Nature.Le
mathématisme et le spiritualisme semblent tous deux nous en indiquer
une.La vie nait (sans doute aussi sur d'autres mondes) et explose en
une infinie variété d'espèces jusqu'à la notre qui va tenter de
s'autonomiser de la nature pour envahir la niche culturelle nous
permettant d'étudier le phénomène de la conscience de soi,de
l'intelligence collective et des manifestations étourdissantes de la
personnalité.Notre
civilisation fort riche nous autorise à vivre dans un monde où les
artistes,en nous montrant d'autres limites au naturalisme,sont les
maitres d’œuvre de l'illusion et du loisir.En empruntant aux
techniques numériques,l'art nous entraine aujourd'hui dans une
«réalité» virtuelle qui ne cesse de croitre et de nous étonner.
Publications scientifiques : PLoS
J.F Dortier: histoiredes sciences cognitives
Pr Imbert : vidéo
Un fichier achève les 'post' précédents sur l'évolutionnisme